5:11 am - 27 juillet, 2025

Le 22 juillet dernier, l’organisation Human Rights Watch (HRW) a rendu public un rapport explosif sur les violences commises par l’armée malienne et ses alliés russes du groupe Wagner contre la communauté peule. Ce rapport, fondé sur 29 témoignages directs, dont ceux de victimes, témoins oculaires, chefs de village et responsables d’ONG, met en lumière une série d’exactions systématiques perpétrées entre janvier et juin 2025 dans les régions de Kayes, Ségou, Tombouctou et Douentza au Mali.

Parmi les cas les plus emblématiques, celui du 12 avril 2025 à Sebabougou, dans la région de Kayes. Ce jour-là, des soldats maliens et des combattants russes ont investi le marché aux bestiaux du village, rassemblé une centaine d’hommes peuls puis les ont transférés au camp militaire de Kwala. Selon HRW, 43 corps en décomposition ont été retrouvés dans les jours suivants à proximité du camp. Les victimes avaient les yeux bandés, les mains liées. Les familles, encore aujourd’hui, n’ont reçu aucune explication officielle.

Le rapport poursuit avec des événements survenus en mars : à Kourma (19 mars), 12 hommes peuls arrêtés sur le marché, battus, ligotés, embarqués de force dans des véhicules militaires. À l’heure actuelle, ces derniers sont toujours portés disparus. À Belidanédji (30 mars), six hommes peuls ont été abattus sommairement alors qu’ils fuyaient l’arrivée des soldats. Les témoignages décrivent des corps retrouvés dans les rues, avec des traces de coups, des balles dans le dos, les membres attachés.

Le mois de janvier a lui aussi été marqué par des violences extrêmes. Le 23 janvier à Kobou, dans la région de Douentza, l’armée est accusée d’avoir tué trois civils peuls, dont deux personnes âgées, et incendié au moins 30 habitations. Les forces armées auraient ciblé cette communauté en l’accusant, sans preuve, de collusion avec les groupes islamistes actifs dans la zone, notamment le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM).

HRW souligne également que ces crimes ne relèvent pas d’incidents isolés, mais bien d’un schéma récurrent et structuré de persécution ethnique. En effet, depuis plusieurs années, la communauté peule est régulièrement associée au djihadisme par les forces armées maliennes et leurs partenaires russes. Cette stigmatisation sert de justification à des représailles indiscriminées contre des civils innocents. Ainsi, ce glissement vers une violence ciblée s’est accentué au cous de l’année, avec des exécutions extrajudiciaires, des détentions secrètes et des disparitions forcées, en totale violation du droit international.

Face à ces abus, le silence des autorités maliennes est total. HRW indique avoir adressé un courrier aux ministères de la Justice et de la Défense du Mali en juin pour obtenir des réponses, toutefois, aucune n’a été donnée. L’ONG appelle à une réaction ferme de l’Union africaine et à une éventuelle saisine de la Cour pénale internationale, en rappelant que le Mali est signataire du Statut de Rome.

Une insécurité croissante aux effets régionaux déstabilisants

Les exactions documentées par HRW ont des conséquences dramatiques sur la société malienne. Dans les régions rurales de Mopti, Ségou, Gao et Tombouctou, les populations civiles fuient non seulement les groupes armés islamistes, mais désormais aussi les forces régulières et leurs supplétifs russes. La peur de représailles, fondée sur l’appartenance ethnique ou la simple localisation géographique, pousse des milliers de personnes à se réfugier en ville ou dans les pays voisins.

À ce titre, les femmes et les enfants sont les premières victimes collatérales de cette insécurité. En 2024, plus de 100 000 déplacés internes ont été recensés à Mopti et Gao, dont 58 % sont des femmes et des enfants. La crise humanitaire s’aggrave avec les blocages routiers, les restrictions d’accès à l’eau, la cherté des denrées et une explosion des violences sexuelles, qui ont doublé à Gao en un an.

Mais au-delà du Mali, l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest est exposé à une extension de cette instabilité. Le retrait du Mali de la CEDEAO en janvier dernier, a privé les victimes d’un accès à la Cour de justice régionale, tout en fragilisant les mécanismes de coopération sécuritaire. Dans ce contexte, des pays voisins comme le Burkina Faso et le Niger, également alliés militaires de la Russie, pourraient connaître des dérives similaires, avec une militarisation accrue et peu de contrôle civil sur les actions armées.

En Côte d’Ivoire, les autorités s’inquiètent d’une contagion djihadiste à la frontière malienne au nord du pays. Des infiltrations ont déjà été signalées ces dernières années, et l’instabilité malienne, nourrie par l’impunité des crimes commis contre les civils, risque de faciliter les franchissements de frontières et la circulation des armes et des combattants. D’autant plus que la communauté peul ivoirienne présente au Nord du pays, non loin de la frontière malienne, pourrait motiver une extension de ces actes barbares.

Plus largement, l’extension d’Africa Corps sur le Sahel, dans un climat d’impunité totale, soulève des questions majeures sur la souveraineté des États africains, la protection des populations civiles, et la responsabilité des acteurs étrangers dans les conflits internes. Si rien n’est fait, le développement social et économique de l’Afrique de l’Ouest pourrait à nouveau être ralentit, marquant une nouvelle phase de déstabilisation de la sous-région.

Constantine



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