Indépendance, Houphouët, Ouattara, Gbagbo, Thiam , injustice, désordre et choix de la paix
Le 65ᵉanniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, célébré à Bouaké le 7 août 2025, a délivré un message limpide : les Ivoiriens veulent la paix, et ils croient encore en leur Nation, malgré les épreuves que chaque génération a connues depuis la naissance de la République.
Les Ivoiriens et les Ivoiriennes aiment leur pays. Ils veulent continuer à en être fiers, dans la stabilité. Ce désir profond d’unité nationale, jadis incarné par le président Félix Houphouët-Boigny – le plus illustre des pères fondateurs – et relayé par ses successeurs, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, est aujourd’hui porté par le chef de l’État Alassane Ouattara. Sa posture actuelle sur le chemin de la stabilité rappelle cette autre célèbre maxime d’Houphouët-Boigny : « Je préfère l’injustice au désordre. Le désordre, on ne peut pas le réparer. L’injustice, on peut la réparer. »
Dans le contexte préélectoral actuel, cette phrase prend tout son sens. Ce vendredi 8 août 2025, soit 24 heures après la fête nationale, et à la veille d’une manifestation annoncée d’une partie significative de l’opposition à Yopougon, cette leçon houphouëtiste sonne comme une alerte : la paix est précieuse.
Des opposants – pas tous – sont tentés de remettre aujourd’hui en cause cette maxime. Certains, qui ont applaudi des coups d’État dans d’autres pays mais les ont dénoncés lorsqu’ils étaient aux affaires, affirment désormais qu’il ne faut jamais préférer l’injustice au désordre. Cette posture, notamment de la part d’acteurs qui se réclament de l’houphouëtisme, interroge : peut-on vraiment justifier le désordre sous prétexte de corriger une injustice présumée ? Est-ce là une vision fidèle à l’héritage d’Houphouët-Boigny ?
Récemment, j’ai réécouté un extrait de l’intervention du président Laurent Gbagbo lors du Forum pour la réconciliation nationale, en 2001. Il y assumait l’article 35 de la Constitution de 2000, disant qu’il avait été conçu pour écarter la candidature d’Alassane Ouattara, alors « accusé » de s’être prévalu d’une autre nationalité. Il saluait également la limitation d’âge instaurée à l’époque, afin, selon lui, d’éviter qu’un dirigeant âgé demeure au pouvoir, comme ce fut le cas d’Houphouët. Il se réjouissait aussi de la fin de la succession automatique instaurée par l’article 11, qui avait permis à Henri Konan Bédié de devenir président en 1993.
Vingt-cinq ans plus tard, beaucoup de ces verrous ont sauté. En effet en 2016, la Constitution a été révisée. Ainsi la limite d’âge a été supprimée, l’article 11 a été réintroduit sous une autre forme permettant la succession et l’exercice du pouvoir par un vice président de la République ; la question de la nationalité a été revisitée. Aujourd’hui, Laurent Gbagbo, à 80 ans, peut être candidat, alors que son camp avait boycotté le référendum constitutionnel de 2016. Ce qui était hier dénoncé ou perçu comme injuste et inacceptable est désormais accepté, sinon revendiqué, ou exploité pour contrer la candidature du président sortant et en exercice Alassane Ouattara.
Faut-il y voir une contradiction ? Non. C’est là justement le sens d’une nation et de l’État de droit : les constitutions , les institutions et les lois évoluent, les perceptions changent, mais la stabilité reste une exigence constante. Ceux qui ont dénoncé hier, revendiquent ce qu’ils dénonçaient. Ceux qui disaient oui huer, disent non aujourd’hui.
Une injustice – réelle ou simplement ressentie – peut se réparer dans le cadre des institutions, dans le jeu démocratique et électoral. Le désordre, lui, laisse souvent des blessures irréparables.
À 70 jours de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 ( NDLR éditorial publié le 8 août 2025 ) , l’heure est à la responsabilité. Toutes les parties en présence doivent faire le choix de la mère véritable dans le jugement de Salomon : celle qui préfère sauver l’enfant (la patrie), plutôt que de le voir dépecé. L’opposition ne peut se permettre de dire : « coupons l’enfant en deux, ou bien aidons le pouvoir à couper l’enfant en deux ». Si, comme l’affirmait le président Gbagbo lui-même quand il était au pouvoir , « c’est l’opposition qui garantit la paix dans un pays », alors le front commun et les opposants doivent continuer à incarner ce rôle avec responsabilité, lucidité et courage.
Dans cette perspective, une réforme à mener , mérite réflexion : et si toutes les élections (présidentielle, législatives, municipales, sénatoriales, régionales) se tenaient le même jour ? En 1985 déjà, les municipales avaient eu lieu dans la foulée de la présidentielle, sans oublier que les municipales et régionales se tiennent ensemble. Une telle synchronisation pourrait réduire les tensions, limiter cumuls , les surenchères, et éviter la tentation du boycott ou des plans B hasardeux, pour ne pas dire de dernières minutes.
Aujourd’hui, le PDCI-RDA et le PPACI sont focalisés sur les candidatures de Tidjane Thiam et de Laurent Gbagbo, sans sembler anticiper les législatives prévues entre décembre 2025 et mars 2026. S’ils décidaient de boycotter la présidentielle, pourraient-ils aussi sacrifier les centaines de postes à pourvoir dans les autres scrutins ? Ne chercheraient-ils pas plutôt à aller à ces autres élections pour les transformer en référendum de résistance ou en levier de légitimation pour leurs candidats écartés ? Mais alors pourquoi boycotter l’élection présidentielle avant ?
La Côte d’Ivoire a les moyens techniques et politiques d’organiser des scrutins simultanés dans les années à venir, dans le cadre d’u e réforme visant à atténuer les tensions de l’élection présidentielle depuis 1995. En attendant, chaque parti peut gagner à éviter la politique de la chaise vide. En 1995, en 2000, en 2015, en 2020, le boycott n’a pas été une option utile et profitable au pays. Le boycott sans stratégie claire, sans perspective institutionnelle, est un aveu de faiblesse. Il marginalise. Le camp Gbagbo le sait : ses absences aux législatives de 2011 et aux autres scrutins jusqu’à son retour dans le jeu électoral, à partir de 2021, ont permis au PDCI, pourtant arrivé troisième à la présidentielle de 2010, de devenir la deuxième force politique du pays, tout en étant l’une des raisons de la crise et de la division du Fpi , partagé d’une part entre partisans du boycott des institutions et du jeu politique tant que le président Gbagbo était à la Haye, et d’autre part ceux qui n’étaient pas d’accord avec le boycott, et qui estimaient qu’il fallait continuer la lutte en restant dans le jeu politique et institutionnel. Aujourd’hui encore, n’est-ce pas la même chose : pas d’élection présidentielle pour le PPACI sans Laurent Gbagbo candidat ou sur la liste électorale. Pourtant le président Laurent Gbagbo dont l’absence sur la liste électorale date de 2020, avait son camp participer aux législatives de 2021, puis aux régionales de 2023 sans qu’il puisse lui-même voter.
Il reste à l’opposition dite significative environ 18 jours jusqu’à la clôture des candidatures pour faire le choix clair de refuser le désordre, malgré un sentiment d’injustice. Le choix de la maturité et de la responsabilité. Le sentiment d’injustice et la frustration ressentie peuvent être compréhensibles, même si cela n’emporte pas unanimité. Mais une injustice est-elle une raison suffisante pour fragiliser la paix, pour préférer le désordre , le boycott , l’insurrection , le coup d’État ? Plus que jamais la paix dépend de l’opposition, du gouvernement , mais aussi de tous les ivoiriens et de toutes les ivoiriennes !
Bonne fête de l’indépendance à toutes et à tous. Vive la Côte d’Ivoire en paix !
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