Bangui, 4 avril 2025. Des milliers de Centrafricains ont défilé dans les rues de la capitale pour dénoncer la présence du groupe paramilitaire russe Wagner dans le pays. Depuis 2018, les mercenaires sont accusés de centaines d’exactions contre les civils.
Cette mobilisation populaire, inédite par son ampleur, marque un tournant dans l’attitude de la population face à l’influence grandissante de Wagner en République centrafricaine (RCA). Depuis la signature des accords de sécurité en 2018 entre Moscou et Bangui, les mercenaires russes opèrent officiellement aux côtés des forces armées centrafricaines pour appuyer le président Faustin-Archange Touadéra dans sa lutte contre les groupes rebelles. Mais leur présence est désormais perçue par beaucoup comme un facteur d’aggravation du conflit.
Des civils en première ligne
Les exactions commises par Wagner sont documentées depuis plusieurs années par des organisations internationales. Les experts de l’ONU rapportent des cas d’intimidation, de tortures, de viols, d’exécutions sommaires, ainsi que de pillages à grande échelle. D’après les données du projet Armed Conflict Location and Even Dat (ACLED), plus de 70 % des événements impliquant des agents de Wagner sans forces étatiques ont visé directement des civils depuis décembre 2020. Une violence systématique, ciblée, dont l’ampleur dépasse largement celle des groupes rebelles que Wagner prétend combattre.
Les révélations issues des “WagnerLeaks” apportent un éclairage inédit sur l’intérieur du groupe. Ces documents internes, soigneusement tenus depuis 2017, relatent non seulement des faits d’armes et des pertes humaines, mais aussi des actes de pillage, de torture et d’ivresse sur les théâtres d’opération. Un rapport alarmant de l’Université Columbia souligne que 5,6 % de la population centrafricaine est décédée en 2022, un taux de mortalité record à l’échelle mondiale. Cette hécatombe est directement liée, selon les chercheurs, à l’insécurité généralisée et à la militarisation du pays par des acteurs étrangers.
Main basse sur les ressources
Wagner ne se contente pas d’un rôle militaire. Le groupe est profondément impliqué dans l’exploitation illégale des ressources naturelles du pays, notamment l’or et les diamants. Ces activités minières servent à financer ses opérations, tout en renforçant son emprise économique sur l’État. D’après une enquête de The Sentry, Wagner utilise un réseau de sociétés écrans pour masquer ses profits, contourner les sanctions internationales et obtenir des concessions minières en échange de son soutien militaire au régime. Plusieurs rapports ont fait état de dizaines de mineurs tués lors de raids visant à prendre le contrôle de sites aurifères stratégiques.
En contrepartie de son appui armé, Wagner a acquis une influence majeure sur les plus hautes sphères du pouvoir. Le groupe assure la sécurité rapprochée du président Touadéra, forme les FACA, participe aux opérations de contre-insurrection et contrôle des pans entiers de l’économie. Cette situation alimente les accusations de vassalisation de l’État centrafricain à une puissance étrangère.
Wagner mène aussi une guerre dans l’espace médiatique. Par le biais de médias locaux et de campagnes coordonnées sur les réseaux sociaux, le groupe diffuse de la désinformation, fabrique des récits favorables à sa présence et discrédite les voix critiques. En novembre 2024, un ancien collaborateur du groupe a brisé le silence. Ephrem Yalike Ngonzo, journaliste centrafricain de 29 ans, a révélé avoir travaillé pour Wagner entre 2019 et 2022, sous la direction d’un responsable russe, Mikhaïl Prudnikov. Il était chargé de produire des contenus de propagande, d’organiser des manifestations contre l’ONU, et de manipuler l’opinion publique.
La manifestation du 4 avril donne un nouveau souffle à ceux qui dénoncent depuis des années l’impunité des mercenaires russes. Elle symbolise un éveil citoyen dans un pays longtemps privé de sa voix. Pour de nombreux Centrafricains, il s’agit non seulement de rejeter la violence de Wagner, mais aussi de revendiquer la souveraineté de leur État.
Constantine
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